Un post un peu éloigné de mes commentaires habituels, fruit du télescopage de mes lectures paléo, mes propres questions et la lecture du dernier livre de Kurtzweil sur le fonctionnement du cerveau humain. Je ne sais pas si vous aurez la patience d’aller jusqu’au bout, mais je me suis bien amusé à l’écrire 🙂
Qu’est ce que la vie ?
Un composé chimique qui a la capacité de se reproduire et de capter l’énergie de son environnement. Tout objet de notre environnement est constitué de molécules, elles mêmes faites d’atomes : un caillou, un virus, une plante, moi … La différence entre le premier et les trois autres est cette capacité à récupérer de l’énergie de l’environnement (métabolisme) et de pouvoir se répliquer plus ou moins à l’identique en utilisant un code qui décrit le fonctionnement de l’organisme en question (reproduction).
La molécule au cœur de ce fonctionnement est un assemblage d’acides aminés, l’ARN. Les premières formes de vie, qui apparaissent il y a 3,8 milliards d’années, sont rudimentaires au regard de ce qui existe aujourd’hui … mais l’ARN est toujours présent dans les cellules humaines.
Déjà, la sélection naturelle opère : à partir d’une forme initiale le code qui fabrique un organisme qui sait mieux capter l’énergie ambiante qu’un autre a un avantage, et va se reproduire plus efficacement. Plusieurs théories sont proposées sur l’émergence de la vie (priorité au génome ou au métabolisme) mais toujours est il qu’on va passer de la molécule, à la « proto-cellule » (possédant une membrane qui permet de s’isoler du milieu) puis à la cellule : les bactéries sont les premiers êtres unicellulaires.
On trouve dès l’origine de la vie une tendance à l’accroissement de la complexité, qu’on peut expliquer par un avantage compétitif ou par un dessein qui nous échappe (personnellement je penche pour la première hypothèse :-)).
On notera au passage que l’atmosphère initiale de la Terre ne contient pas d’oxygène, mais quasiment uniquement du CO2 et de méthane. (coïncidence amusante : en vérifiant avec Google que le ne raconte pas trop de conneries, la recherche « origine de l’oxygène sur terre » renvoie en premier lien un article de Volodalen, excellent site web spécialisé dans a course à pied : sans doute une bonne raison que ce post soit sur mon blog :-)).
Les premières bactéries (stomatrolites, -3,8 milliards d’années) produisent de l’énergie avec un mécanisme anaérobie (fermentation), puis par photosynthèse. En gros le carbone sert à fabriquer de la matière, puisqu’il est au cœur de toutes les molécules composant la matière vivante, et l’oxygène est rejeté dans l’atmosphère : déjà de la pollution, et déjà le glucose comme source d’énergie.
Dans la soupe originelle liquide les organismes vivants foisonnent, L’apparition de l’oxygène permet de nouveaux mécanismes de production d’énergie, qui sont eux aérobie. Le mécanisme aérobie étant plus efficace que le mécanisme anaérobie (comme dans notre organisme, qui utilise toujours les mêmes réactions chimiques pour produire de l’énergie), plus de possibilités sont offertes à la vie. On va passer de la cellule eucaryote (sans noyau) à la cellule procaryote (avec un noyau pourvu d’ADN et donc capable de coder la reproduction). Cette reproduction est à l’identique : la bactérie se dédouble, avec des « enfants » ayant exactement le même patrimoine génétique que le « parent », mutations aléatoires mises à part. Cette méthode est très efficace mais manque de robustess : si les conditions changent, comme toute la colonie de bactérie fonctionne exactement de la même manière, tout le monde disparait.
Des organismes plus complexes vont se développer : la coopération commence entre cellules et on va voir apparaître les premières formes de vie pluricellulaires : associations temporaires de bactéries lorsque les conditions environnementales deviennent difficile : rareté de l’eau ou de nutriments, qui peuvent retrouver leur indépendance si le milieu redevient favorable. Vers 2 millards d’années apparaissent les premières structures pluricellulaires permanentes.
La formation d’êtres pluricellulaires procure un avantage évident par rapport aux unicellulaires : qui dit plusieurs cellules qui travaillent ensemble dit capacité de spécialisation. Même si les formes les plus primitives comme les bactéries ont gaillardement traversé les milliards d’années et sont toujours capables de nous tuer.
L’explosion de la vie pluricellulaire arrive il y a 500 millions d’années : premiers invertébrés marins, algues, éponges, méduses. La reproduction sexuée, qui autorise plus de variabilité et donc de résistance aux changements de milieu semble plus difficile à dater.
Tous ces organismes vivants fonctionnent autour de deux priorités évidentes : trouver de l’énergie pour se maintenir en vie et se reproduire.
Cette gestion indispensable se fait d’abord par des purs processus physico-chimiques puis sur des formes plus évoluées deviennent des comportements innés : à partir du moment à la source d’énergie est un autre être vivant – ou qu’on peut devenir la source d’énergie d’un autre être vivant, ceux qui ne développent pas de stratégie par rapport à ces problématiques sont condamnées à disparaître. Analyse de l’information du milieu, stockage et transmission de cette information sont indissociables de la vie.
De la même manière qu’un ordinateur plus puissant permet d’effectuer des calculs plus complexes, les organismes possédant plus de capacité d’analyse ont un avantage compétitif sur les autres. Le cerveau va en être la pierre angulaire.
Il apparaît chez les premiers invertébrés, en parallèle avec les organes permettant une appréhension du milieu : les yeux. C’est bien beau d’avoir des capteurs, mais s’il n’y a pas d’outil d’analyse de l’information recueillie, ça ne sert à rien ! Chez les vertébrés, il va se loger dans la tête et avoir globalement la même structure pour tous, les mammifères étant ceux qui ont la plus forte croissance de taille de toutes les espèces. Ils apparaissent il y a environ 200 millions d’années.
Multiplication des capteurs du milieu implique accroissement nécessaire de la capacité de stockage et de calcul. Toujours orientée vers la survie, c’est à dire la capacité à manger, à ne pas être mangé, et à se reproduire, dans un environnement de plus complexe, puisqu’il y a d’autres espèces et qu’on peut se déplacer dans des milieux différents.
De la même manière qu’un ordinateur pourvu d’une mémoire programmable dynamiquement offrira plus de souplesse qu’un où tout est câblé, le cerveau va, partant d’une structure génétiquement développée, pouvoir stocker des stratégies issues de l’interaction avec le milieu : reconnaître l’emplacement d’une source de nourriture ou identifier un prédateur dangereux ; et les organismes étant de plus en plus grands et complexes, il faut aussi coordonner toutes les activités : déplacement, coordination, faim, soif, sommeil, reproduction … On pourrait dire, comme Kurtzweil, que le cerveau est le dernier avatar de l’évolution de la complexité : atomes, molécules, ADN, cellules, cerveau.
Nous autres humains avons toujours, au centre de notre cerveau, le « cerveau reptilien » qui comme son nom l’indique ressemble à celui d’un reptile et gère des fonctions basiques : combat ou fuite, circuits de plaisir ou de déplaisir, sur une logique très simple et implacable : les comportements qui favorisent la survie de l’espèce sont renforcés par un sentiment de plaisir (chimiquement : de la sérotonine et de la dopamine).
La différence entre moi et un crocodile, à part les écailles, est le néocortex. Structure colossalement complexe qui va faire l’interface entre les capteurs du monde extérieur et les fonctions vitales.
Pour avoir une petite idée de la complexité et de l’importance du néocortex : chez les humains il comporte 60 fois plus de cellules que tout le reste du cerveau : un ratio double de celui des chimpanzés, qui ont pourtant 99% d’ADN commun avec nous.
Le cerveau humain comporte 100 milliards de neurones, qui possèdent un million de milliards de connexions (10 puissance beaucoup !). Donc plus de neurones dans mon cerveau que d’étoiles dans l’univers, et une « puissance de calcul », si on considère qu’un synapse (connexion entre deux neurones) est capable de commuter environ 1000 paramètres, que tous les ordinateurs de la planète actuellement en fonction …
Et pourtant … au delà des chiffres vertigineux et de la fascination qu’ils peuvent nous faire éprouver, toute cette incroyable machinerie s’est « simplement » développée pour nous permettre de survivre et de nous adapter, ce que nous faisons plus ou moins bien selon où l’on regarde.
La conséquence la plus importante de l’existence du néocortex est la conscience : je sais que j’existe et je suis capable d’analyser mes interactions avec le monde qui m’entoure, principalement les autres humains.
Au passage, la perception du réel est en fait une hallucination : ce que je « vois », ce sont des images qui n’existent qu’à l’intérieur de mon cerveau, qui décode 12 flux visuels « basse définition » partant de mon nerf optique, impulsions électriques qui activent des réseaux de neurone dans mon néocortex me permettant de « reconnaître » des objets. Une fleur vue par moi ou une abeille n’est pas le même objet, mais c’est un autre vaste sujet. Au passage c’est la même chose pour l’audition : notre cerveau analyse le signal découpé sur 6000 bandes de fréquence, un gigantesque équaliseur (ceux qu’on utilise en sono ont 31 bandes de fréquence !) qui va aussi activer le néocortex et nous permettre de reconnaître le langage, la musique ou l’arrivée d’un prédateur.
Le point qui m’interpelle, est qu’à partir ce cette conscience de soi apparaît un sentiment d’identité et d’autonomie. Je sais qui je suis, j’ai des goûts, des dégoûts et des désirs, une éthique, une morale, mon libre-arbitre, etc.
Pour autant nous sommes largement agis par tous les mécanismes qui nous ont permis de survivre et d’évoluer mais nous avons, grâce à notre néocortex, acquis la possibilité de s’en détacher. L’exemple qui me vient en premier à l’esprit est la sexualité : elle est agréable parce que si elle ne l’était pas notre espèce n’existerait pas. Sauf que notre intelligence nous a permis à moment donné de comprendre que le rapport sexuel avait souvent pour conséquence la naissance d’un enfant ou le fait d’attraper une maladie vénérienne (tiens, le retour des bactéries !), et que nous avons donc imaginé des méthodes pour avoir le plaisir sans la conséquence pas toujours voulue, remontant à l’Egypte ancienne. Je ne sais pas si la capote en papyrus était très efficace … mais elle a été inventée.
Même chose pour l’alimentation (qui était le point de départ de ma réflexion et qui va en fait être la conclusion de ce post touffu et bien trop long).
Le « j’aime / j’aime pas » est à l’origine un mécanisme de survie. L’espèce qui va aimer des aliments qui lui sont toxiques a une probabilité de survie assez mince. Donc pendant longtemps dans l’existence de l’espèce humaine nous avons été attirés par des aliments qui nous ont permis de survivre et de prospérer. Certaines théories de l’évolution indique d’ailleurs que notre appétit pour les protéines animales a permis le développement fulgurant de notre cerveau.
Nous avons développé une culture de la nourriture, inventé la cuisine et les trois étoiles Michelin, et totalement découplé le plaisir alimentaire de la fonction vitale, qui consiste simplement à accéder et à stocker suffisamment d’énergie pour pouvoir survivre et nous reproduire. Et nous sommes redoutablement efficaces, tant du point de vue de l’utilisation de différentes filières énergétiques (anaérobie, aérobie, à base de glucose ou d’acides gras) correspondant aux différentes situations auxquelles nous avons du faire face : courir à toute vitesse pour échapper à un prédateur ou stocker suffisamment de calories sous forme de graisse pour survivre plusieurs semaines sans aucune source d’énergie. De ce point de vue, le stockage de graisse est un système formidablement efficace – les 9000 calories contenues dans un kilo de graisse sous cutanée permettant facilement de survivre une semaine.
Mais à l’époque le sucre n’existait pas, pas plus que la bouffe industrielle bourrée d’additifs. Le dégout que j’éprouve à l’idée de manger des vers de terre grillés est culturel – ce sont des protéines de même qualité que la côté de bœuf dont je raffole.
La personne qui se gave de sucreries est victime à l’insu de son plein gré de ce mécanisme mais si on essaye de lui expliquer sa réaction va être « ben oui mais j’aime ça et comme je préfère manger ce que j’aime je vais me reprendre une bière ou un cookie ». Alors qu’en fait cette réaction est produite à un niveau inconscient (stimulation des circuits de récompense, détection par le cerveau de l’hypoglycémie réactionnelle suite à une orgie de glucides rapides) mais le néocortex permet de donner une explication rationnelle : « c’est tellement bon ! »
Aux prises à une difficulté d’arrêter de fumer après 15 ans d’abstinence, je suis dans le même piège : l’envie de la cigarette avec le café « parce que c’est bien agréable et un moment de tranquillité avec ma femme» est une justification à postériori totalement bidon d’un paquet de phénomènes chimiques qui se passent dans mon cerveau (ça s’appelle l’addiction).
Donc au final cette conscience nous piège, parce qu’elle nous permet de fabriquer des rationalisations à des phénomènes qui nous échappent totalement et qui sont ancrés dans notre biologie.
Un autre exemple qui me frappe, c’est les méthodes de soin des diabétiques. On sait exactement ce qu’il faut faire pour un patient diabétique : la suppression des glucides dans l’alimentation permet de réguler la glycémie et de se passer totalement des injections d’insuline. Sauf que dans plus de 50% des cas, le patient ne veut pas changer son alimentation et préfère mesurer sa glycémie et s’injecter de l’insuline 4 fois par jour.
Il est donc tout à fait frappant de voir que des solutions simples et « non médicales » existent et sont à portée de main pour traiter l’épidémie d’obésité, de diabète et autres fléaux des pays riches et que malgré la puissance de raisonnement colossale dont nous disposons dans les 1500 cm3 à l’intérieur de notre tête. Nous restons en majorité agis par les mécanismes qui ont permis notre survie dans un environnement extrêmement hostile (recherche de sucres et économie d’énergie) qui, dans le contexte actuel d’abondance alimentaire et d’assistance technologique tous azimuts vont tuer des centaines de millions de personnes dans les décennies à venir.
En parallèle nous utilisons cette intelligence pour trouver des solutions bien complexes et technologiques à ces problèmes somme toute très simples… sur le papier. Mais la prise de conscience du phénomène est le premier pas vers la possibilité de le dépasser, grâce à cette intelligence justement. Enfin, je pense. Donc je suis 🙂
Merci à Ray Kurzweil et à Mark Sisson pour leur inspiration massive pour ce post !