Et après ?
Bon là je me làche et je pars en mode full science fiction. Philip K Dick, sors de ce corps 🙂
Phase 2 : intégration sensorielle
On peut imaginer que dans un second temps il n’y aura plus besoin de lunettes. Les infos qui arrivent au cerveau par un mécanisme complexe d’hologrammes ou de nano machines sur une surface face aux yeux pourront être directement envoyées via le nerf optique.
Au final, ce n’est que de l’information codée analogiquement. On arrive bien déjà à contrôler un bras articulé par la pensée, en analysant le champ électromagnétique du cerveau. Nous connaissons bien le fonctionnement de la rétine et du nerf optique. Il suffit de court-circuiter le capteur, ça ne devrait pas être bien compliqué techniquement.
Le cerveau est complètement « hacké », et il va avoir du mal à « savoir » dans quelle réalité il doit interpréter se trouve à un instant t. Il faudra qu’une partie de la conscience sache que cette réalité n’en est pas une, mais si elle est suffisamment saisissante …
Quand je regarde un film je sais que je regarde un film, parce qu’il y a le reste de l’environnement autour de moi. Je vais quand même rire et pleurer, alors que je sais pertinemment que ce que je regarde est une illusion. Une fois que l’illusion n’en est plus une, comment mon cerveau va t’il réagir ?
Phase 3 : désintégration du substrat physique
J’ai souvent évoqué les discussions des transhumanistes, et l’idée de la possibilité de backuper notre propre personne en utilisant l’informatique ; Kurtzweil essayer de rester en vie suffisamment longtemps pour y arriver. Pour l’instant j’avais imaginé ça sans penser à la réalité virtuelle. Je me backupe, je dowloade le backup dans un corps tout neuf, et hop, on peut refaire un tour de manège.
Je le dis sur un ton humoristique mais personnellement je ne trouve pas cela si irréaliste. Disons que cela reste un sujet très polarisé actuellement, tout comme l’émergence d’une ASI (artificial super intelligence), les deux étant corrélés. En tous cas des gens pour lesquels j’ai beaucoup de respect intellectuel (Gates, Hawkins, Musk, pour ne citer qu’eux) voient cela arriver d’ici quelques décennies. Même si des philosophes ou d’autres scientifiques estiment ceci totalement irréaliste et l’analysent comme une nouvelle religion. Et si il y a de sérieuses critiques sur la capacité à y arriver d’ici pas trop longtemps, compte tenu de la complexité sans cesse croissante découverte dans le cerveau humain. Comme ici.
Au passage si ça arrive, ça pose quelques questions éthiques assez coton, du style : si le backup et l’original fonctionnent en même temps, que se passe t’il ? Un peu comme la question du document original vs don clone informatique, dans la dématérialisation de documents. Lequel fait preuve si il s’avère qu’il y a divergence ?
Dans le cas d’humains avec leurs clones, il est évident que ça va diverger puisque si ils ont des expériences de vie différente, ils vont devenir différents. Un paléophil qui court, un autre qui joue de la guitare, un troisième qui écrit des posts sur la technologie, et on fait un pow-wow en fin de journée pour mettre toutes les expériences en commun et tout resynchroniser ? C’est un des sujets abordés dans un des podcasts récents de Sam Harris avec un autre philosophe, David Chalmers. Au passage, je trouve fascinant que l’évolution de la technologie repose tout un tas de questions éthiques, voire métaphysiques. Mais Einstein a bien fait la même chose en son temps avec la relativité …
Pour l’instant, ce qui est décrit dans l’article de Wired ne va pas jusque là. On reste avec ses lunettes et même si le but du jeu est de faire croire au cerveau et au corps que la réalité n’est pas ce qu’elle est, le corps reste un corps.
Si je passe ma vie dans un monde virtuel, je n’ai même plus besoin de m’incarner physiquement. Mon backup virtuel, c’est un programme, qui fonctionne à l’intérieur d’un autre programme qui est la réalité virtuelle que je choisis, qui peut être une réplication de ma réalité initiale ou tout à fait autre chose. Accessoirement, je suis devenu immortel et je consomme moins d’énergie puisque toute la dimension biologique qui sous-tend la conscience (qui est tout ce qui m’intéresse en fait, dans un monde virtuel) est juste modélisée voire inutile : un programme n’a pas besoin de manger des pâtes pour refaire ses stocks de glycogène :-). Plus de débat sur l’alimentation :-).
Par contre les ordinateurs pour faire tourner tout ce bazar, auront besoin d’une l’énergie colossale pour fonctionner en continu. Avec les progrès de l’IA, et du solaire, on peut imaginer un data center autosuffisant, capable de se réparer et de faire évoluer les logiciels, fonctionnant avec l’énergie inusable du soleil. On les mettra en orbite, comme cela ils n’auront pas de problèmes de refroidissement, et avec des panneaux solaires géants ils auront toute l’énergie nécessaire, au moins pour les 4 milliards d’années à venir. Après on verra 🙂
Bon ben voilà, on est dans la matrice.
Est-ce qu’on va avoir envie d’y aller ? Moi je crois que oui.
Depuis que les hommes existent ils cherchent à s’affranchir des contraintes que la biologie et la réalité leurs imposent. L’imaginaire et le symbolique sont présents depuis plusieurs dizaines de milliers d’années (Lascaux, c’est 30.000 ans avant JC). La technologie a toujours eu pour but d’accroitre nos capacités (et de nous foutre sur la gueule aussi, j’en conviens). Donc il n’y a pas de raison que ça s’arrête ou que la tendance s’inverse.
Nous avons déjà largement « hacké » nos propres systèmes biologiques : trivialement la sexualité et l’alimentation, passés d’instincts indispensables à sources de plaisir et moteurs d’action découplés de leur finalité reproductive et de survie. Et de manière plus fine en recyclant des zones du cerveau pour lui faire faire des choses nouvelles et plus utiles (langage, écriture)
Est-ce que ce sera une utopie de partage et d’émerveillement ? Ca pourrait. On a tous un logiciel un peu différent, des capacités différentes et être dans une matrice ne serait pas nécessairement facteur de standardisation, au contraire. Ca pourrait être aussi le monde décrit dans Matrix, ou tous les bouquins de SF où une élite a le pouvoir et le reste de l’humanité est asservie.
Reste quand même la question du plaisir de l’utilisation du corps – ce matin j’ai couru 15 bornes dans une nature en plein bourgeonnement et j’ai adoré sentir cette nature qui renait, sans doute en espérant que ça déteigne un peu sur mon corps qui lui ne connaît pas les saisons et finir dans un éternel hiver. Ou plus positivement, des sensations bien paléolithiques de voir la nature qui renait et qui va générer de la nourriture et du soleil pour refaire le plein de vitamine D … mais avec les capteurs qui vont bien, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas « hacker » les centres de plaisir et faire ressentir le même type d’émotions dans un monde complètement virtuel, surtout si le corps est lui aussi totalement dématérialisé.
On peut boucler la boucle en imaginant que peut-être que c’est déjà le cas, et que nous vivons à l’intérieur d’une simulation qui a eu des débuts un peu chaotiques mais qui est en train de se mettre en ordre …
PS
Ce texte se revendique comme une rêverie vaguement scientifique, rien de plus. Disons que j’ai eu envie de suivre mon fil jusqu’au bout. Prévoir le futur est par essence une tâche impossible. Mais ce qui est sur, c’est qu’il est toujours surprenant et qu’en ce moment il accélère de plus en plus. Eric Schmidt (CEO d’Alphabet) interrogé par une journaliste sur les plans de Google à 10 ans « mais ma brave dame, 10 ans, dans notre métier c’est l’éternité! Je n’en ai pas la moindre idée » …
« On sera tellement immergés dans le virtuel qu’on ne trouvera plus l’intérêt à de fades relations sexuelles réelles. Encore moins à élever un braillard pour l’introduire en temps voulu* dans le système. Comme on sera virtuellement immortels ça n’aura de toute manière plus de sens de procréer, ce qui sinon mènerait très vite à une surpopulation intenable. Et puis, il sera bien plus simple de fusionner des copies de consciences pour obtenir des eMarmots mèmocompatibles avec son couple** ! Ou son triplet, sa tribu, sa nation… autant tendre vers l’uniformisation totale***, c’est tellement plus agréable ! Et pourquoi même ajouter de nouveaux joueurs ? On sera tellement bien dans notre jeu perpétuel de plaisir inextinguibles.
La promesse ressemble vraiment au paradis. Une éternité de plaisir c’est long, long et insupportable. Mortel. Mortel et auto-génocidaire. Le mieux comme ennemi du bien dans toute sa splendeur. »
Bon, c’est rigolo 5 minutes de partir dans ces délires, mais je fais parti de ceux qui n’y croient pas vraiment. Créer des consciences artificielles, oui. S’immerger dans le virtuel, oui, ça semble inévitable et c’est déjà largement là. Mais se libérer de notre « substrat physique », non.
Je suis certain qu’on va très vite pouvoir le faire dans une certaine mesure, en allant même dans des « ailleurs réel » en réalité virtuelle. Je pourrai par exemple aller explorer mars en y envoyant une sonde qui me représente et me fourni l’immersion virtuelle dans un monde réel distant. Dans ce sens on est proche d’une certaine libération de notre corps, et ça c’est déjà un truc qui va bouleverser l’humanité en profondeur.
Mais se passer complètement du corps, j’ai de sérieux doutes. Cela suppose le transfert de la conscience d’un substrat à un autre, et ça me paraît proche de l’impossible.
—–
* : à quel moment sa conscience devient-elle transférable ?
** : un quoi ? Ce truc là gardera-t-il l moindre sens ?
***: puisque c’est notre choix naturel, si on a la possibilité de l’exercer.
Et ben moi ça ne me fait pas rêver tout ça… Ca me fait même flipper!
Je viens de voir un joli film qui lui m’a fait rêver: « en quête de sens », très loin de tout ça, aux antipodes je dirais même mais beaucoup plus proche de mes préoccupations.
Je n’arrive pas à être fascinée par la technologie, même si je dois admettre qu’elle m’est bien utile…
Sinon, en ce moment, je lie des trucs sur la transplantation fécale, beaucoup plus terre à terre, j’en conviens mais ça semble prometteur, non? Fallait y penser quand même!!
Bonjour Anais ! je n’ai pas dit que ça me faisait rêver. Enfin, si, il y a une partie qui me fait rêver, la possibilité de simplifier l’accès à la connaissance et donc de pouvoir facilement savoir plus de chose et donc réfléchir plus intelligemment. Le nombre de fois où je vois un bouquin et je me dis « j’aimerais le lire » mais je sais que je n’ai pas le temps … si je pouvais transférer directement cette connaissance dans mon cerveau ça serait top. c’est déjà un peu ce qui se passe avec Wikipedia et le web. Pouvoir être en contact avec ceux qu’on aime alors qu’on est loin, c’est super (je fais du facetime avec ma femme deux fois par jour, ca serait mieux de faire de la réalité virtuelle!), etc. Donc il y a des tas d’applications possibles positives. Et puis le côté négatif, et cette idée que les humains, pris au piège de leur propre animalité (circuits de plaisir et de récompense) deviendront comme les rats de laboratoire qui essayent de maximiser leur plaisir en utilisant la technologie qu’on leur fournit. Et le fliquage, et la manipulation, etc. Je préfère comprendre ce qui se passe plutôt que de me le prendre dans la tronche sans rien piger, ou en accusant des puissances supérieures … Quand à la transplantation fécale, effectivement c’est très prometteur 🙂 et ça ne fait que montrer à quel point notre individualité est une illusion – nous sommes tous des écosystèmes …
Intéressant !
Pour info je suis tombé récemment sur un article parlant de projets en cours Google et Samsung sur des « lentilles connectées » (une recherche Google dâen dira plus).
Concernant lâintelligence backupée, tu évoques une vie virtuelle avec cette intelligence évoluant dans un monde virtuel (qui peut être choisi, en interaction avec dâautres intelligencesâ¦). Ne pourrait-on imaginer que ton intelligence backupée soit elle-même augmentée. Par exemple accès à lâintégralité des données du web, via un moteur de recherche intégré/naturel ? Ou encore fonctionnant beaucoup plus vite que la nôtre ?
Ceci dit jâimagine mal ce que pourrais se raconter deux intelligences partageant une mémoire quasi infinie⦠et identique ? Mais là on sort du cadre techniqueâ¦
A samedi
Patrick