A l’époque je ne savais pas ce qu’était un blog et je croyais encore que sur facebook on pouvait écrire un texte de plus de 3 lignes. J’ai retrouvé ça hier soir. C’est assez marrant en regard du Marathon de Paris d’il y a 15 jours.
Lever 5h45 … J’ai tout préparé la veille, petit dej rapide, en voiture, Suzana me dépose en bas de l’avenue Foch à 6h55. Assez tendu depuis quelques jours, je me demande si j’ai bien géré mon alimentation pré-course, me gavant de pain et de boisson glucidique, mais je n’ai rien pesé ! J’ai l’impression diffuse de ne pas être suffisamment hydraté, me demande comment je vais gérer le masque pendant 4 heures, moi qui me mouche en général tous les 200 mètres… flip habituel d’avant-course : l’angoisse de la nuit de noces.
Je finis par trouver la tente GDF, 500 mètres plus haut et pas indiquée, et je retrouve la joyeuse troupe d’étudiants avec cette fois Veronique Billat qui supervise les opérations. Je connais l’exercice, l’abrasif pour nettoyer la peau avant les electrodes, le filet, le K4, les deux Polars … jusqu’au test du boitier qui avait déconné la fois dernière, cette fois ça déconne encore.
Je regarde l’heure tourner, j’ai rendez-vous avec Thierry qui emmène un groupe sous les 4 heures et j’espère pouvoir en profiter. Hélas, le verdict tombe : c’est le faisceau de cables, il faut tout refaire, il est 8h15. Je sens que je vais me le faire tout seul mon marathon masqué : après un deuxième tour gratuit, je quitte la tente, il est 8h50 et le marathon a démarré sans moi.
Trottinant pour rejoindre l’Avenue de la Grande Armée, je me retrouve dans le mur … des coureurs … pas encore partis, qui marchent, et il y en a beaucoup ! Trop tard pour le sas. Peste soit des manifastations de masse ! Tiens, maintenant il y a carrément des urinoirs portables sur les côtés avec des gars qui font la queue avant même d’avoir commencé la course. Le truc classique … De mon temps on pissait dans les bouteilles de flotte vide : tout ça se civilise avec la masse.
Je prends mon mal en patience en observant mes congénères marathoniens avec l’oeuil de l’ethnologue. Visiblement le truc à la mode ce sont les gels – en batterie, comme des cartouches dans une ceinture de chasseur, j’en vois de partout. Pas sur que cela serve à grand chose quand on a 10 kilos de trop ou qu’on est mal entrainé, mais le fait de se focaliser sur le superflu parce qu’il est plus facile à maitriser que l’essentiel n’est pas une exclusivité du marathonien parisien, plutôt une travers classique du genre humain. Il y a aussi tous les gars avec le tshirt sur mesure, style « Georges, marathon de paris 2010 » – « Hé, Georges, tu as mis ce t shirt pour que les spectateurs sachent qu’ils ne sont pas en train de regarder la finale de Roland Garros ? », et aussi tout ceux qui courent pour une cause. Bon là on ne va pas se moquer, d’ailleurs moi aussi je cours pour une cause, je prête mon corps à la science pendant quelques heures ! C’est touchant, cette idée de faire un effort qui serve à autre chose que notre propre narcissisme, même si ça dit aussi : regardez-moi.
Je passe enfin sous le portique de départ, après 15 minutes de piétinement pénible dans une foule hyper-compacte. j’ai bien envie de re-initialiser le Polar, mais j’ai peur de faire une connerie. Je vais avoir du mal à me monitorer, ça fait un an que je cours avec un Garmin que j’ai programmé pour me donne mes temps de passage tous les 200 mètres … Je vais me caler sur la FC, ca je peux la lire et je connais bien. Je commence doucement, vers 140, mais je sais qu’on est en descente, je passe le premier kilo à en gros 31 minutes, ça roule. La foule de coureurs est très compacte, et ils n’avancent pas ces cons, bordel ! Déjà au semi j’avais été géné, alors que j’étais dans un sas un peu supérieur à mon temps, mais là c’est l’enfer, et j’ai peur de m’épuiser si je commence à slalomer. Alors je reste en mode « tortue » : lentement et dans ma carapace technologique !
Premier ravitaillement, 5 k. Je me demande comment je vais faire avec le masque, on m’a dit « essaye de ne pas le dégrafer », ça marche à peu près, sauf pour se moucher parce que le nez reste coincé dedans ! J’arrive à boire un peu de flotte et je repars.
Ma fréquence cardiaque monte doucement, vers 155. j’ai abandonné toute veilléité de voir mon temps, je me dis que je regarderai au 10ème et au semi.
Au 9ème, changement de batterie pour la télémétrie. Prochain changement au 30ème, quand j’y serai je n’aurai plus que 12 K à faire : facile ! Petits calculs pour essayer de découper la tâche en morceaux plus faciles à digérer.
Pendant la course, on me pose des questions, mais ce n’est pas très facile de dialoguer avec le masque. Au 10ème K je suis un peu au delà d’une heure, et je commence à me rendre compte que les ravitaillements me prennent du temps. Je ne veux pas en sauter, je sais qu’il fait très chaud et j’ai pas envie d’avoir des crampes au 30ème . Au 15ème, j’ai une sangle du masque qui se décroche. Merde, c’était pas prévu ! et je n’ai jamais regardé comment c’était accroché. je suis comme un idiot avec mon masque à la main, je comprends que c’est du velcro, j’arrive à le raccrocher tant bien que mal et je repars.
Quelques rencontres folklo : un gars qui pousse un vélo à la main avec des petites cloches (mario), deux gars avec un tonneau (pub pour un marathon alcoolisé, je ne me souviens plus lequel), et les groupes sur les cotés qui supportent les coureurs : allez la suisse, allez la bretagne, allez papa on t’aime, allez john, les verts, les bleus, etc.
Je passe le premier semi en 2:10. Zut, je pensais que j’allais plus vite. Mon fantasme « je viens de passer une semaine à a montagne, je dois avoir plus de globules rouges, je vais pouvoir courir à 10 à l’heure avec une FC à 140 » s’envole en ricanant, mon objectif de 4 heures est atomisé, je n’arriverai pas à faire le deuxième semi en 1:50 … je vais faire quoi : 4:20, 4:30 ? Ca me casse le moral, et j’ai encore 21 bornes à me taper, et les mauvais souvenirs du marathon de l’an dernier reviennent : les crampes, les douleurs aux hanches. Bon, tenir jusqu’au k 30 et après on verra. Toute la remontée des quais se passe assez bien, même si je sens bien que dans les côtés je n’ai pas beaucoup de jus et que je ralentis beaucoup.
30 k, rechangement de pile, c’est à moi qu’il faudrait changer les piles; Je suis content de voir Morgan, un visage familier et souriant! « ca va ? – chuis fatigué – normal, tu viens de courir 30 bornes » – c’est un fait, il a raison. Mais je m’arrête longtemps au ravitaillement au Trocadéro, je mange pour la première fois, j’aurais peut être du le faire avant. Je sens que j’ai du mal à repartir. Merde, pourquoi j’ai aussi peu de jus ?
Je réalise que l’électrode du cou s’est décollée, malgré le ruban adhésif généreusement appliqué, entre la sueur et les ravitailleurs qui vous arrosent à la lance à incendie, c’est un miracle que les autres tiennent. J’espère que ça ne faussera pas les mesures !
Mais ça se tire : trocadéro, c’est mon terrain de jeux tous les dimanches depuis un an. Et 12 bornes, c’est rien ! Donc je vais y arriver, je ne sais pas en combien de temps mais je vais y arriver. Mon cardio indiquait dans les 170 sur la remontée des quais, je sais que j’ai un peu de réserve, mais surement pas pendant une heure …
Je me concentrer sur des trucs positifs : tout le bordel electronique que je trimballe aurait pu me cisailler, me bruler, en fait rien. Pas de rougeurs, pas d’ampoules, juste de la gène et un bobo avec l’electrode sur le thorax, mais ça reste supportable. Le masque, avec l’impossibilité de me moucher et de cracher, je pensais que ça allait être grosse galère, en fait non, même si j’avale sans doute de la morve depuis un moment déjà, avec la sueur, on sait plus bien. Et les crampes et autres contractures redoutées n’apparaissent pas (évidemment, je me traine !!!).
Une rencontre émouvante avec une handicapée autiste portée sur un chariot par des courageux, en remontant la Rue Mirabeau – je ne sais pas si c’est le masque qui l’attire ou une connivence plus profonde, elle me tend la main, je cours avec elle pendant quelques mètres mais après ses porteurs me larguent.
La lassitude me tombe dessus à l’approche du Bois de Boulogne. Le polar indique 5 heures, ça fait donc plus de 4 heures 30 que je cours, ça commence à faire long … Pire que les crampes ou les douleurs, cette immense fatigue, déjà ressentie lors de ma sortie « très longue », le corps qui veut s’arrêter et les neurotransmetteurs qui envoient toutes les excuses possibles à la conscience pour justifier l’arrêt: sans doute un mécanisme d’auto-protection de l’organisme. Dialogue intérieur : « Allez, marche un peu, ça ira mieux après, c’est même écrit dans Jogging Magazine qu’on peut le faire » – « Pas question, déjà je me traine, si en plus je marche, c’est la honte totale » – Ce conflit cornélien se résoud dans une transaction inconsciente : plusieurs minutes d’arrêt au ravitaillement Powerade (ou je sais plus quelle boisson bleue et sucrée), j’en bois trois verres, ce qui est surement idiot vu qu’il ne reste que quelques kilomètres à parcourir, mais je joue la montre … à l’envers. Avec un coeur à 170, je sais aussi que le gain de vitesse marginal si je me botte le cul pour monter à 180 va être epsilonesque et que je risque de gerber tripes et boyaux avant l’arrivée.
En plus à ce moment de la course, je suis entouré de gens qui marchent, sont assis, se massent en faisant des grimaces, partis trop vite, trop mal préparés. Ca ne vaut pas le coup et je repars mollement en comptant les kilomètres à l’envers maitenant, 5, 4, 3 … je m’arrête quand même au ravito du 40 (il y des dingues qui servent du pinard pour une pub pour un autre marathon alcoolisé, j’adore le vin mais là j’ai vraiment pas envie !) et je m’élance (enfin, façon de parler) pour les deux derniers kilomètres, ça y est, c’est presque fini, après tout c’est ça qui compte, on verra pour le chrono dans 6 mois.
Je remonte quelques coureurs histoire de, franchis la ligne d’arrivée en essayant de lever les bras, même si la photo montre que c’était assez virtuel. Horreur, le chrono me saute à la figure, 5:20 donc en déduisant mes 25 minutes, ça fait 4:55. Je suis encore capable de faire cette soustraction, ce qui est une bonne nouvelle ! Merde, j’ai fait le deuxième semi en 2:40 – je veux même pas calculer ma moyenne. Certes, en passant 3 minutes à chaque ravitaillement, au final ca douille, mais là c’est surtout d’avoir fait un temps pire que l’an dernier alors que j’avais l’impression d’être bien préparé. Bon, faudra essayer de comprendre ce qui s’est passé, je prends ma médaille, rends ma puce, et remonte à la tente GDF, encore 500 mètres, un peu dépité. En montant les marches de la tente, toute l’équipe m’applaudit.
C’est le meilleur moment de la course. J’ai même droit à quelques commentaires de consolation « c’est normal, avec la chaleur, on prend 1/2 heure » …même si le vainqueur a tourné en 2:07.
Epilogue : le docteur de l’équipe prend ma tension : 7-9. Moi qui tourne plutôt à 10-15, je suis surpris « c’est peu, non ? » « ben oui, vous êtes épuisé, c’est un peu normal ». C’est vrai que je viens de courir 42 bornes en plein cagnard, avec 2 kilos de matos sur le dos.
Malgré tout, j’ai envie de recommencer, mais en me préparant mieux. Si cet hiver vous voyez un mec courir dans Paris le matin avec un masque bleu sur le visage, ce n’est pas un fétard bourré qui confond la plongée sous marine avec la course à pied : c’est moi …si le labo a encore besoin de cobayes coureurs !
Epilogue : je n’ai hélas pas eu de résultats du laboratoire suite à cette expérience assez intense (et pénible, il faut bien le dire). Pourtant ils ont du choper des masses de données, et j’aurais bien aimé en savoir plus, notamment sur le lien entre fatigue et hypoglycémie. Ceci dit ne pas avoir ces infos ne m’a pas empêché de revenir à des performances plus normales, et il est évident que je n’étais pas bien préparé. Et puis ça m’a permis de faire la connaissance de Greg qui fait Londres ce week-end et que tous mes voeux accompagnent.
C’est vrai que c’est grâce à cette expérience que nous avons fait connaissance. Je l’avais presque oublié car depuis le temps on a fait plein d’autres trucs, on a même failli courir ensemble un marathon outre atlantique. Je regrette que le LEPHE ne nous ait pas fait un feedback plus complet, c’était une grosse déception. Et à ma connaissance il n’y a pas eu de publications particulières…
je trouve que cela aurait dut etre la moindre des choses que de vous fournir des informations; dommage
effectivement … je suis bien d’accord !