Haine de la vie

Une petite note vite fait: je ne sais pas pour vous mais j’ai du mal à me sortir cette histoire d’attentats de la tête, alors je vais l’écrire et après je pourrai passer à autre chose.

Commençons par quelque chose de très trivial et que j’espère un peu aérien.

Les feuilles mortes … 

Je gambergeais sur mon vélo en allant au taf ce matin, méditant sur les difficultés de financement de notre vieil état et la nécessité d’allouer des moyens pour résoudre des problèmes comme traquer les apprentis suicide-bombers plus efficacement. Une fois qu’on a géré un P&L dans sa vie, on sait comme il est important d’allouer ses ressources par rapport à ses objectifs stratégiques, et comme il est facile de se disperser.

Je croise un premier groupe de « souffleurs de feuilles »près du Parc de Saint-Cloud. Trois personnes avec des protections auditives et des lunettes, une machine qui souffle et fait un boucan d’enfer, un petit camion. Bon, OK. Puis un autre groupe juste après le pont sur la A13. Puis un autre sur la nationale qui va vers Versailles. Puis un autre sur les hauteurs de Garches.  Puis un autre dans le bois de Saint-Cucufa, méthodiquement appliqués à virer les feuilles mortes du ruban de bitume, réservé aux seuls piétons et vélos en plein bois. Vous allez penser que j’hallucine, mais je vous jure que j’ai croisé ce matin environ 15 personnes employées à retirer les feuilles mortes de la voie publique, y compris en pleine forêt.

Bon, ils font bien leur travail ces braves gens. Mais par quel tour surréaliste de l’esprit des élus ont décidé qu’il était tellement important de retirer les feuilles mortes des trottoirs et des allées forestières qu’il fallait allouer des personnes, des camions, acheter des machines, de l’essence pour mettre dedans (générer du CO2 pour ramasser de feuilles !!!) ? On n’a rien de mieux à faire des impôts locaux ? On a peur qu’une mamie dérape, se casse le coccyx, et colle un procès à la ville ? Depuis quand les feuilles mortes c’est sale ou dangereux au point qu’il faut investir de la ressource pour s’en débarrasser ?

Bref ça m’a énervé,  déjà que j’étais pas d’une humeur très positive. Je me suis demandé combien de terroristes en plus on pourrait surveiller si on laissait les feuilles mortes pourrir tranquillement sur le domaine public. Question rhétorique et sans réponse, évidemment, et sans doute un peu stupide.

Au retour, le macadam était impeccable dans la montée de Saint-Cucufa. On va dire qua ça réduit la probabilité que je me pète la gueule sur mon vélo. A force de nous protéger de tout on perd totalement la conscience du danger et la compétence pourtant fondamentale d’être attentif et de nous préoccuper de notre propre sécurité. C’est sans doute l’argument auquel mes amis canadiens libertariens pensent quand ils disent que permettre le port d’arme en france serait un premier pas pour régler la question du terrorisme.

La haine

Le point fondamentalement différent, pour moi, entre le massacre de Charlie-Hebdo et celui de Vendredi soir est que la haine exprimée devient indistincte et totale. Charlie, c’était des dessinateurs qui avaient dessiné le prophète.  Non pas que ça justifie quoi que ce soit, hein, pas du tout – mais il y avait « quelque chose » qu’on pouvait identifier dans l’esprit névrosé et étriqué des tueurs : dessiner le prophète = interdit. Interdit = punition. Punition = massacre  à la Kalash. On dira qu’il y a un « motif ».

Vendredi, le seul motif est le fait d’être là au moment où ça défouraille. Un vague lien avec l’interdit (la musique c’est haram) mais ce qui est attaqué, c’est notre mode de vie. Dit autrement, pour l’EI, le fait d’être Francais (ou globalement, non musulman de leur obédience, salafiste si je comprends bien) justifie de la peine de mort.

D’un seul coup je me sens comme un lapin pris dans les phares d’un 30 tonnes qui me déboule dessus à fond les manettes.  Je suis juste coupable d’exister.

Je sais pour l’avoir lu et y avoir réfléchi que l’être humain a cette capacité étrange et épouvantable de nier l’humanité d’un autre être humain pour des raisons totalement imaginaires. Pour l’EI nous ne sommes pas des hommes, nous sommes des chiens, des porcs, et tutti quanti. Mais c’est une chose de le lire dans un bouquin de sociologie et de l’éprouver personnellement.

Arretez-vous une seconde et pensez-y : pour l’EI, votre existence n’a pas lieu d’être. Et donc on vous tire une balle dans la tête (entre autre réjouissances) en tout bien tout honneur, parce qu’en plus c’est ce qui est juste.

C’est quand même glaçant. La seule situation identique qui me vient à l’esprit, c’est la solution finale des Nazis envers les Juifs. T’es juif ? T’es mort. On peut trouver d’autres génocides –  je pense entre autres au Rwanda, aux arméniens, mais la liste est longue … et la Shoah est celui auquel je peux le plus facilement m’identifier culturellement.

La question sans réponse juste en arrière-plan : alors que le principe de base de la vie, c’est justement … la vie, par quel dérèglement mental monstrueux un groupe d’humains peut concevoir une doctrine de vie entièrement basée sur la mort ? Y compris au sein de leur propre groupe, d’ailleurs. Comment peut-on concevoir un projet aussi fou et donc irréaliste, parce que par définition, cette stratégie ne peut pas fonctionner ?

On m’aurait posé la question il y a 35 ans, j’aurai sorti mon petit « La psychologie de masse du fascisme » de Wilhelm Reich. Certes, la répression sexuelle joue sans doute un rôle là dedans. Mais pas que.

Allez, je vais faire autre chose …

 

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4 commentaires pour Haine de la vie

  1. Martin dit :

    Attention, merci de lire ce que j’écris en entier et d’essayer de le comprendre réellement avant de me sauter à la gorge en affirmant que j’ai dit exactement l’inverse de ce que j’essaye d’expliquer (je n’écris pas ça pour toi Phil 🙂 ).

    Juste une question de points d’observation…

    Ainsi pour un végan par exemple, ce que toi ou moi faisons est absolument monstrueux. Nous tuons d’autres êtres-vivants sans autres justifications que notre confort gustatif (viande tous les jours) ,vestimentaire (cuir, fourrure), notre plaisir (corrida), ou juste parce que ces animaux nous insupportent (guêpes, frelons, araignées, etc.).

    Objectivement, quelle différence avec ces « ultra-religieux » (il ne s’agit pas que de l’islam radical) qui estiment avoir le droit de tuer les autres êtres-vivants sous prétexte qu’ils ne font pas partie de leur « monde » ?

    En me faisant l’avocate du diable, je me demande comment il est possible objectivement de tracer une frontière entre les vies dont ont a le droit de disposer et celles qui sont intouchables.
    Si je suis objective je ne peux qu’admettre à ce stade de mes réflexions que cette limite relève d’un choix et non d’un ordre immuable.
    Les « ultras » considèrent que certaines catégories d’humains sont hors de cette limite, comme la plupart des gens considère les animaux hors de cette limite (tout en y gardant les animaux « mignons » comme les chats ou les chiens).

    Et cela me donne le vertige… le bien, le mal… purement subjectif ! Ce ne sont que des choix de sociétés que nous faisons collectivement (et on ne peut pas vivre sans les faire).
    Je suis française, et très attachée aux valeurs fondatrices de ma république. Ce qui s’est passé vendredi m’est insupportable. Insupportable pour tous ces morts innocents, et surtout insupportable pour le sens que les meurtriers ont donné à leurs actions comme tu le soulignes avec beaucoup de justesse Phil.
    Combattre cette intolérance est absolument fondamentale, pas parce que c’est « normal », ou parce que « on a raison », mais parce que c’est notre choix de société.

    Mais un groupe qui a fait un autre choix de société a autant de légitimité (au sens premier du terme, pas au sens juridique et humain) que nous à le défendre.
    Donc de mon point de vue, point de vue unique parmi des milliards d’autres, les auteurs de la tuerie sont des barbares assassins sans aucune excuse.
    Mais si je me force à changer de points de vue, je en vois plus que des choix qui s’affrontent. Rien d’autres.

    • paleophil dit :

      La frontière pour moi est : la vie humaine versus les autres vies, animaux, plantes, bactéries, virus. C’est certes un point de vue éminemment anthropomorphique qui est compliqué à justifier philosophiquement, autrement que par l’exercice de la force et/ou de notre supériorité intellectuelle par rapport aux autres espèces. En tant qu’espèce ayant accès à un niveau cognitif supérieur à tout le reste de la biosphère, nous avons inventé des concepts et des valeurs … comme la valeur de la vie, par exemple, ce dont se contrefoutent les animaux (demande au lion son avis sur l’antilope qu’il egorge pour se nourrir..) . Liberté, égalité, fraternité, n’incluent pas le cochon dont je vais manger la cuisse demain soir. Pour moi c’est du ressort de la nécessité donc c’est moralement OK, pour le végétarien, non.

      Le « consensus social » d’aujourd’hui, hérité des Lumières, c’est qu’on a le droit de ne pas être d’accord avec autrui, mais pas de le tuer pour autant. Ce qui n’était pas le cas il y a deux siècles, puisqu’on pouvait faire un duel si on était pas d’accord avec quelqu’un. On peut défendre son point de vue, mais en général il est malvenu de tuer pour le défendre. Sauf en cas de guerre …

      Le bien et le mal ont pour moi des racines biologiques, c’est une élaboration conceptuelle sur les circuits cérébraux plaisir / déplaisir avec en plus la conscience de soi et la capacité d’empathie et de projection – avec une bonne couche de grégarité dessus. C’est ça qui nous permet de faire des choses inutiles et immorales (tuer quelqu’un juste parce qu’on n’est pas d’accord avec lui). Les animaux sont beaucoup plus dans la nécessité, sans conscience de.

      Et du coup le bien et le mal sont relatifs (même si je pense qu’il y a des invariants, notamment basés sur la biologie). Si tout le monde dans la tribu est d’accord pour dire que le bien, c’est d’enlever le clitoris des petites filles, alors après x générations tout le monde trouve que c’est « bien » alors que de mon point de vue c’est totalement barbare. Le salafiste pense que les Eagles of Death Metal c’est totalement haram (comme le connard du front national d’ailleurs).

      Moi je mets aussi une notion de « progrès social » là dedans aussi, le bien et le mal ont évolué avec la société mais c’est peut être juste que je suis un bon occidental qui se la pête … et qui valorise par dessus tout la « liberté de penser ».

  2. Mathieu dit :

    Salut,
    Je rebondirais sur deux points:

    1) Tu préférerais qu’on ne ramasse pas les feuilles (exemple) mais alloue plus de ressources pour surveiller/fliquer tout le monde (ce qui arrivera de toute façon, vous allez ramasser un Patriot Act à la française) ? Attention à ne pas virer dans l’hypersécuritaire et se dire que tout le reste n’est pas important.

    2) Je ne pense pas que ça soit le fait d’être « français » qui soit attaqué. Certes les attaques se portent sur des symboles de la vie à l’occidentale, mais si la France a été attaquée c’est surtout pour sa politique étrangère et son interventionnisme dans certains pays. D’ailleurs elle continue dans la mauvaise direction, en bombardant les repères présumés de l’EI, tout en continuant à faire des affaires avec des pays qui soutiennent ou ont permis l’émergence de cette organisation.

    Ces personnes (EI) se disent musulmans mais ils ne représentent pas cette religion, et les musulmans ne doivent pas être tenus comme « responsables » / avoir à démontrer qu’ils se démarquent de ces actes. On ne met pas sur le dos des chrétiens les actes du Ku Klux Klan…

    Etant en Suisse je n’ai bien sûr pas eu le choc qu’a reçu un parisien vendredi. Je comprends tes réflexions cependant je pense qu’il est important de ne pas vouloir trop vite tirer des conclusions et il s’agit de prendre du recul sur les événements pour les analyser. Ce qu’il n’est pas possible de faire si tôt après ceux-ci, où l’émotionnel prend une part trop importante.

    En tout cas bon courage.

    • paleophil dit :

      Merci Mathieu pour ton commentaire. Oui je suis OK pour que la police et l’armée aie plus de moyens, pour me fliquer ou autre chose, mais le combat contre un autre est toujours affaire de ressources. Quand on voit les PC dans les commissariats qui sont hors d’age ou les commentaires des gendarmes sur le fait qu’on relache systématiquement les mineurs parce qu’il n’y a pas de place pour appliquer une peine, l’engorgement du système judiciaire … ca ne ferait pas de mal d’allouer un peu plus de ressources à tout ça.
      Sur ton point 2, je suis d’accord avec la première partie à 50%, et pas du tout avec la seconde. On dira que la religion musulmane, comme la chretienté, a de multiples déclinaisons plus ou moins barrées dans la haine la violence et l’intolérance, mais les EI se revendiquement absolument musulmans, ce qui, je le reconnais, et compliqué pour les autres. Mon avis d’athée est que toute religion porte en elle les germes du radicalisme. Il y a un super article (qui m’a fait changer d’avis sur le sujet d’ailleurs) que je te recommande, sur la démarche idéologique de l’EI. http://www.theatlantic.com/magazine/archive/2015/03/what-isis-really-wants/384980/#article

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