J’avais plusieurs idées de post qui me trottaient dans la tête (puisque moi je ne trotte ni ne galope en ce moment) mais comme je suis très occupé à ne rien faire (vous avez remarqué comme débordé quand on n’a rien à faire) je vais essayer de faire une synthèse qui évite un peu la superposition quantique. Pas garanti.
Ceci dit voilà une photo-synthèse, si j’ose dire 🙂 :
Une idée qui me frappe maintenant de plein fouet est que tout organisme vivant évolue pour optimiser sa consommation d’énergie. L’histoire de la vie, capacité d’un organisme à se répliquer plus ou moins fidèlement, pourrait se résumer à trouver tous les moyens possible d’utiliser le mieux possible les sources d’énergie disponibles, suffisamment longtemps pour se reproduire et littéralement « fabriquer » une génération de plus.
Un être vivant capte et consomme de l’énergie puis rejette des déchets. Les déchets des uns pouvant être l’énergie des autres. Je reste toujours médusé (si j’ose dire) du fait que l’oxygène indispensable à la vie aujourd’hui dans la grande majorité des organismes, dont les humains, était à l’origine un déchet produit par la photosynthèse, capacité à produire de l’énergie à partir du soleil (ou électriquement récupérer des photons pour pouvoir arracher des électrons à des molécules d’ATP) si je ne m’abuse. Et aussi qu’un humain normal fabrique et recycle environ 65 kilos d’ATP par jour, l’ATP étant la «monnaie énergétique» d’à peu près tous les êtes vivants, plantes incluses.
L’histoire de la vie est celle d’une optimisation permanente d’un système contraint entre ressources et reproduction. La reproduction, ça coute de l’énergie, évidemment, mais ç’est l’essence de la vie.
Les ressources, ça ne court pas les rues (ou ça court vite), ça n’est pas disponible à la demande, et toutes les formes de vie se battent, directement ou indirectement pour y avoir accès : c’est la clé de leur survie. Là dessus, l’évolution est implacable : une bactérie qui se débarrasse de gènes dans son ADN pourra se dupliquer en consommant moins d’énergie qu’une autre, et donc se reproduire plus vite. Exit la bactérie avec des gènes inutiles. Evidemment, aucune des bactéries ne sait ce qu’elle fait, la conscience étant une évolution très tardive de la vie. N’étant pas un partisan du dessein intelligent, je pense juste que le hasard jette les dés, et que c’est cela qui permet l’immense diversité de la vie, la capacité qu’elle a à coloniser des niches écologiques aussi variées que le fond des océans et le sommet des montagnes.
Donc les organismes vivants développent des systèmes permettant d’utiliser des sources d’énergie variées et aussi bien sur de la stocker, et d’en moduler l’usage en fonction des circonstances. Chez les humains, l’énergie est stockée sous forme d’ATP (très peu), de glycogène (polymère de glucose – un peu plus, quelques centaines de grammes dans les muscles et dans le foie) et de gras (sans limite :-))
Je profite des vacances pour relire « The New Evolution Diet », qui est un des premiers bouquins que j’ai lu sur le sujet de l’alimentation et l’importance de la perspective évolutionniste. Paléo bien sur mais pas seulement.
Art de Vany est un esprit puissant et assez iconoclaste, mais après avoir lu une vingtaine de bouquins sur le sujet, il reste super pertinent dans son approche. Et comme il est aussi économiste, il peut faire des sorties intéressantes sur Pareto, les fractals, et autres thématiques peu courantes dans des bouquins de ce type.
De manière très lapidaire, Art nous dit « We are programmed to be lazy overeaters » (nous sommes programmés pour être des goinfres paresseux ». Diantre ! quelle image négative de l’Homme. Et pourtant il a raison à 1000% : il y a 50.000 ans, il valait mieux être économe dans son utilisation de l’énergie, donc ne se déplacer que quand nécessaire, et faire des stocks quand c’était possible. C’est la fourmi qui survit, pas la cigale.
Le glucose est signal d’abondance dans notre métabolisme : beaucoup de glucose, et la reproduction s’active (profitons en). Peu de glucose, et les gènes qui régulent la réparation cellulaire s’expriment. Ce n’est pas juste chez les humains, parce que ce « chemin métabolique » mettant en jeu l’insuline et la régulation de la glycémie existe chez à peu près tous les être vivants, et les expériences qui montrent l’expression des gènes ont lieu sur un petit ver transparent, le c. elegans, qui a très peu de gènes … mais en a en commun avec nous, notamment le foxo3 dont j’ai parlé dans un post précédent.
Ce n’est pas une approche « évangélique » de l’évolution : Art indique bien que nous avons évolué avant tout pour pouvoir nous reproduire, et que la baisse de testostérone, de production de glutathion, et autres à partir de 40 ans est bien une programmation de notre propre mort et que nous avons intérêt à nous en préoccuper un peu pour vivre longtemps et en bonne santé.
Pour en revenir à l’alimentation, ça reste assez simple : protéines, légumes, quasiment pas de glucides à part quelques fruits, peu de matière grasse, pas d’alcool, manger à sa faim et jeuner régulièrement (le jeune, comme l’absence de glucose, favorise l’expression des gènes « réparateurs ». Et pas d’alcool évidemment. Dommage pour la caipirinha.
Je vous encourage à le lire ou le relire. Il y a une traduction en français mais je pense que la version originale est bien meilleure (pure envie : en fait j’aurais adoré traduire son bouquin mais les éditeurs à qui je me suis adressé m’ont envoyé péter).
Son nouveau site fait à mon goût un peu trop la promotion du glutathion en pilules qu’il prend depuis plus de 25 ans, mais bon, à vous de voir. C’est pas pire que les antioxydants de Sisson ou le café d’Asprey … Et les références scientifiques dans son bouquin sont bien réelles. Et j’aimerais bien avoir son taux de masse grasse à 78 ans, aussi. Oui, je sais, n=1, mais quand même.
Alors justement, puisqu’on parle des modes de vie « anciens », il y a un super bouquin de photographies qui montre des tribus actuelles « dans leur jus », dans des coins moyennement hospitaliers (sibérie, papouasie, …) et même sans leur parler, juste en regardant les photos c’est assez fascinant.
Quelques photos de la tribu des Chukchi, en Sibérie.
Le campement :
Les voisins :
L’intérieur du campement :
Si on revient au sujet du stockage et de l’abondance … il suffit de regarder les photos pour réaliser qu’ils ont effectivement intérêt à faire sacrément attention. Et qu’ils ne doivent pas manger des masses de glucides non plus. Une économie centrée sur la chasse et la solidarité, y compris avec les animaux : « ta place au paradis dépend de la manière dont tu traites ton chien ».
Allez, une autre tribu du froid, les Kazakh.
Coopération avec les animaux, chevaux et faucons, paysages lunaires et ressources sans doute très rares (à part les rongeurs que les faucons doivent ramener).
Je me demande quand ils mangent sucré, eux, tiens.
Si on change d’hémisphère et qu’on va en Papouasie, terre chère à Jared Diamond, on peut remarquer l’importance accordée à la décoration et au maquillage, qu’on retrouve d’ailleurs plus ou moins dans toutes les autres tribus.
Compétition inter et intra-sexuelle très bien expliquée par Pascal Picq.
Et aussi volonté d’intimider les ennemis.
Par contre on voit quelques personnes plutôt corpulentes.
L’histoire ne dit pas si ils sont déjà « occidentalisés » et prennent un bol de corn flakes au petit déjeuner … ou si nous sommes dans le fantasme pur lorsque nous pensons que toutes les maladies « modernes » n’existent pas quand on a un mode de vie « naturel ».
Quelques autres vite fait :
Pour finir par un peu d’Amérique du sud, une photo de Gauchos :
Voilà je ne vais pas tous les faire, je vous engage à aller sur le site et à acheter le bouquin si vous avez 6500 euros à dépenser (il y a aussi une version à 150 euros 🙂).
En tous cas ça milite méchamment, de mon point de vue biaisé, évidemment, sur les bienfaits d’une alimentation 1. riche en protéines et en gras 2. pauvre en glucides et 3. alternant périodes de bombance et de restriction.
Mon troisième sujet sera justement comment l’abondance alimentaire nous détruit et comme il est difficile d’y résister, par exemple au Bresil. A cause de notre «programmation» pour se jeter sur tout ce qui est disponible comme énergie.
Et il y en a en abondance … mais mon énergie mentale, elle n’est plus en abondance. Ca sera pour plus tard, mais vous me voyez arriver de loin je pense …
Intéressant Phil… et les photos sont magnifiques.
Par contre, je suis curieux de savoir comment ton neurone d’ingénieur résout le paradoxe que tu soulèves (indirectement) dans la première partie de ton article : l’ingénieur, comme la nature, poursuit l’optimisation et l’efficience énergétique… mais une alimentation vraiment low carb, en vertu de son « avantage métabolique » est justement l’opposé de l’efficience énergétique.
L’efficience n’est-elle pas de tirer le maximum du peu qu’on peut trouver ?
L’optimal n’est-il pas de stocker avidement la moindre calorie non brûlée, en cas de future disette ?
Alors en quoi une diète qui conduit (si on en croit ses bénéfices clamés) au gaspillage métabolique serait « optimale »… hormis éventuellement pour perdre un excès de poids néolithique ?
La diète « évolutivement » optimale ne serait-elle pas, plutôt, celle qui permet l’utilisation maximale des nutriments consommés, et le moins de perte énergétique ?
Salut Renaud, merci pour ton commentaire, j’attendais pour voir si j’allais me prendre un scud ! Alors, question intéressante évidemment qui va mettre à contribution MON neurone 🙂 mais je que des hypothèses.
Sur l’efficience qui consiste à tirer le maximum de tout ce qu’on peut trouver : oui ça parait logique, je suppose que c’est ce qui nous a conduit à varier nos sources d’approvisionnement en énergie quand nos ancêtres sont descendus des arbres et se sont aventurés dans la savane, et se sont mis à manger des racines et de la viande (dont la densité énergétique est nettement supérieure à la racine). Lieberman en parle très bien dans son bouquin. Avec une vision « systémique », à savoir que l’organisme n’est pas statique et change en fonction des sources d’énergie qu’il trouve : adaptation des mâchoires, des dents, des muscles fessiers pour pouvoir courir etc.
De là a dire que l’optimal consiste à stocker tout ce que tu troves : non, et là c’est le coureur qui te répond. Tout ce qu’on stocke a un coût énergétique et métabolique. Le marathonien qui a 5 kilos de muscle dans les pectoraux (qui ne servent à rien dans la course) de plus qu’un autre perd la course. Nous avons des gènes qui régulent la fabrication de fibres musculaires … j’ai lu quelque part que la plupart des grands body-bulders comme Schwartzennegger avaient une déficience de ce gène : imagine la quantité d’énergie nécessaire pour faire fonctionner toute cette masse … inutile pour la survie. Ca s’appelle la myostatine je crois.
Donc les mécanisme de stockage sont optimisés sous la double contrainte de « combien d’énergie doit on stocker pour survivre entre deux périodes de disette » et « quel est le cout de stockage cette énergie ». Ca doit bien se modéliser, en tout cas. Et on peut constater que c’est super sophistiqué chez les humains et que le gras est une ressources incroyable : 9000 calories par kilo, soit plusieurs jours d’autonomie …
Ce qui amène à ton troisième point, qui est plus compliqué (évidemment). Ce qui semble sur pour moi c’est que la problématique actuelle est le contraire de ce pour quoi nous avons évolué : le souci est de se pouvoir satisfaire notre appétit sans stocker d’énergie. Une interprétation « facile » est que le régime low carb incite moins à sur manger, est plus coûteux pour métaboliser les nutriments,et incite olus à dépenser de l’énergie (modification de la répartition corporelle = plus de muscle = pus de calories consommées par jour), amenant une espèce de cercle vertueux. A mon sens il y a aussi une dimension psychologique, qui consiste à prendre conscience de ce qu’on mange, et donc à être un peu moins « agi » par les mécanismes chimiques qui contrôlent notre appétit; Mais c’est pas tellement scientifique !
Je m’adressai à ton neurone d’ingénieur par spécificité, pour le distinguer du neurone de coureur, de père, etc. Rien de sarcastique dans l’intention.
Ta réponse est intéressante, et enrichit bien la réflexion. Il y aurait toujours à dire et à contredire, mais tout ça me parait bel et bon. Je souhaitais juste soulever un point de réflexion et encourager, comme toujours, à mettre en perspective et à rester critique.
Pour le contexte, je mange relativement low carb moi-même 😉
(en gros au ratio qu’on voit dans les études « paléo » : 40%)