Tous les marathoniens savent qu’il peut tout se passer sur une course comme ça. Le simple fait que l’épreuve ne puisse jamais être faite à l’entrainement, sauf dans quelques plans d’entrainements un peu barjots, ou pour des ultra, qui peuvent faire un marathon en sortie « courte » d’entrainement – mais dans ce cas ce n’est pas au niveau d’intensité de la compétition.
Donc quand on s’aligne sur un marathon, on sait qu’on maitrise à peu près ce qui va se passer jusqu’au 30ème et après, c’est un peu le saut dans l’inconnu, qui peut atterrir sur un brancard ou en marchant, ou en DNF.
Pour autant j’en profite pour tordre le cou à une idée reçue : la probabilité de mourir d’un problème cardiaque sur un marathon n’est pas supérieure à celle que ça arrive au bureau ou dans la rue, et en général ce n’est pas lié à l’effort.
Je dis ça pour ma femme qui m’imagine toujours agonisant dans un fossé la bouche ouverte dès que j’ai 5 minutes de retard à l’arrivée : et comme j’ai tendance à être optimiste, ça arrive souvent. C’est elle qui risque d’avoir une attaque, finalement.
Non, le problème du marathon à partir du moment où on a un minimum d’entrainement, c’est les muscles et les tendons. Pensez y – à une cadence théorique de 180 foulées par minutes, soit 90 de chaque côté, avec un objectif de 3 :15, le mouvement de propulsion va être répété 17.550 fois de chaque côté. Et de manière rigoureusement identique, ce qui est anti naturel au possible.
Si on fait du trail ou qu’on est simplement dans la nature, la variété du terrain fait qu’on sollicite les muscles de tout un tas de façons différentes. Là, non. On imagine donc la nécessaire adaptation, et le fait qu’une « bricole » inflammatoire puisse se transformer en douleur insoutenable.
Sans plus attendre et te laisser languir, ami lecteur, c’est exactement ce qui m’est arrivé.
Suite à ma séance de 400 d’il y a 15 jours « paléophil a des ailes qui lui ont poussé aux chevilles, tel Mars, le dieu du commerce » j’avais bien senti que les fessiers avaient signifié un certain mécontentement par rapport à ma nouvelle foulée altière … Mais j’avais réussi à maintenir tout ça sous contrôle, enfin, je croyais, et puis j’étais tellement content de courir mieux. Comme j’avais beaucoup plus peur de problèmes de chevilles que de hanches, je me suis surtout focalisé là dessus. Avec un petit doute, évidemment.
Ce matin, justement, au réveil, ma cheville droite d’habitude un peu ankylosée est parfaitement mobile et sans douleur. Un bon signe ! Mon protocole est bien rôdé : deux cafés, de la boisson d’attente maison à base de superstarch, et suffisamment de temps pour faire un bon numéro deux. Seule entorse, si j’ose dire : je mets des chaussettes achetées Vendredi (mais portées Samedi et lavées). J’ai déjà utilisé les chaussures au Marathon de Paris. Comme je ne mets pas de T shirt, pas de problèmes d’irritation des tétons, juste une bande de sparadrap sous la bande du cardio pour éviter que ça me blesse. Et une bonne couche de NOK à l’intérieur du short histoire d’éviter que mes testicules prennent feu par le frottement 🙂
Arrivé sur place il fait putain de froid. Genre 4 degrés avec du vent. Mais on sait qu’il va y avoir des éclaircies et pas trop de vent. Après un instant d’hésitation, je décide de rester sans t-shirt. Pour autant, je suis moyen réveillé.
Il n’y pas trop de monde, le départ n’est pas trop bousculé, en tout cas, rien à voir avec un gros marathon comme Paris.
Le parcours est OK, sans plus. Il y a quelques bons moments le long de la mer et quand on traverse le port, avec tous les bateaux qui sont sortis, mais sinon c’est assez urbain, et on traverse quelques quartiers qui sont assez moches. On est là pour courir, pas pour regarder le paysage, mais quand même. C’est sur que faire Paris et New –York ça donne des habitudes d’enfant gâté.
Moi je suis rivé à mon cardio GPS. Léger énervement lié au fait qu’il me rajoute toujours 5 secondes entre l’allure affichée en temps réel moyen et le lap au kilo manuel – alors que j’essaye justement de me caler avec ce niveau de précision. Je viens de comprendre : les kilomètres des bornes ne sont pas exactement des kilomètres. Ou alors je zigzague comme un slalomeur en furie. Mais les distances que je peux voir maintenant sont toujours un peu différentes, et de fait au total j’aurai couru, d’après mon Garmin, 550 mètres de plus que les 42,295. Bon à savoir : si on se cale sur une cadence, il faut se caler sur au moins 5 secondes de moins que ce qu’on veut faire. Bon un truc que j’ai compris, je m’en souviendrai pour la prochaine course.
Malgré ça tout tourne comme sur des roulettes. Je vois le meneur d’allure en 3 :15 un peu devant mais je suis parti avec une minute de retard et plusieurs fois je me force à ralentir un peu. J’essaye de rester concentré sur foulée, posture, etc.
A partir du 8ème je sens quand même une gène à la hanche droite. J’ai l’habitude des douleurs qui vont et viennent, et j’essaye de me zenifier au maximum pour la faire partir, ou ne pas y penser, ce qui revient au même. Mais elle ne monte pas en puissance, ne disparaît pas non plus et j’espère juste que ça va rester comme ça, je visualise l’arrivée triomphante en 3 :14 :59, ce genre de trucs.
Je passe la zone « Duo » au 19ème où je vois Arnaud et Suzana, tout va bien – on se retrouve à l’arrivée.
La foulée est bonne, l’allonge aussi.
Bon pour les bras, il y a encore du boulot …
Et puis sans prévenir, au 26ème d’un seul coup la douleur monte d’un gros cran, et au 28ème elle explose dans ma hanche. Je connais la douleur musculaire qui invalide, et qui oblige à s’arrêter ; ca m’est arrivé plusieurs fois cette année, mais jamais à cet endroit là. Je m’arrête 30 secondes, tente un massage maladroit, et repart.
Ca défile dans ma tête : inutile de me dire que ça va passer : ça va rester, voire empirer. J’essaye d’adapter la foulée pour minimiser la douleur, je me mets à claudiquer tel un Quasimodo en runnings. Et je vois l’allure qui descend vers les 6 mn au kilo.
Effectivement la suite va ressembler à ça :
Je comprends alors que je vais faire un temps bien inférieur à mon objectif. Et que je vais avoir mal, genre, vraiment mal pendant en gros une heure ½, et peut-être devoir m’arrêter si la douleur devient vraiment insupportable. La douleur réduit la mobilité de l’articulation et dès que j’essaye d’accélérer, ça fait encore plus mal.
Du coup les vannes sympathiques sur le fait que je sois torse nu (bronzage, courage, ouh la la comment fait il, ouah le monsieur il est tout nu, …) deviennent nettement moins drôles. Le fait de me faire doubler par tout le monde aussi. Les kilomètres se mettent à défiler au ralenti. J’ai bien le temps de me maudire pour la séance qui à mon avis a provoqué cette inflammation. Me dire qu’il va sans doute falloir oublier la saintélyon, et que le 3 :15 ca va être pour le printemps 2014. La tentation de l’arrêt me traverse un certain nombre de fois, surtout que le parcours passe à côté du parking où la voiture est garée … mais je décide que je courrai tant que je peux. Au moins j’apprendrai quelque chose.
Donc mon parcours à partir du 28ème sera juste un calvaire. Oublié le vent, le mur, les gels, la gestion énergétique : je mets juste un pied devant l’autre en espérant que je ne crée pas trop de contraintes sur mon muscle douloureux et que je vais réussir à finir. Je suis à une FC moyenne de 145 et je suis donc en train de faire une sortie en endurance au lieu de faire une course.
J’essaye d’accrocher le meneur d’allure en 3 :30 qui me passe mais peine perdue.
Sur la fin je passerai les habituels éclopés explosés en me disant que moi j’arrive toujours à avancer, mais franchement je peux comprendre que dans un contexte pareil on jette l’éponge – il ne me reste que la fierté de finir ce que j’ai décidé de faire, même si ça ne se passe pas comme prévu …
Je vais finir aux alentours de 3 :40 – une cata par rapport à ce que j’avais prévu, mais 10 minutes de mieux que ce que j’ai fait à NY en 2011.
Tout est relatif, et notre appréciation de nous-mêmes est directement liée à l’ambition des challenges que nous nous fixons.
Je préfère encore la douleur de l’échec d’un objectif ambitieux que ne rien faire.
Et je sais déjà ce que je vais faire … dès que j’arrive à marcher !
Ah ! Fin du suspens ! Cool 😉
Bon, désolé pour la galère… mais bravo pour l’effort, en tout cas.
Le suspens une fois que c’est fini c’est moins bien. Comme je vais moins courir dans les jours qui viennent je vais avoir le temps de lire tes mails avec plus d’attention 🙂
Bravo pour l’effort et surtout l’absence de renoncement !
Good job !
Merci. L’absence de renoncement c’est du pur « cogito » 🙂
J’ai néanmoins bien aimé ton feed-back ! Bon courage pour la prochaine !
Pour une fois qu’on ne parle pas de diététique …ça change. Merci !
Ah ? On ne sait toujours pas ce que tu as pris en pré work out, j’plaisante 😉
Ceci dit je me suis carrément renié pré course, j’ai mangé des frites, des cookies industriels et de la maltodextrines. Pas top pour rester en cétose ! Peut être ai-je subi la colère du dieu Paléo ?
🙂
Une acidose n’est pas à exclure, va savoir ;o)
Encore un sujet qu’il faudra que je creuse un jour …
Moi aussi j’ai passé un bon moment en te lisant avec mon café…
Maintenant on attend la suite ! Que vas-tu faire dès que tu le peux comme le laisse entendre la fin du post ?
Obstiné dans l’adversité en tous cas. Chapeau !
Ce que je vais faire ? Reprendre l’entrainement, et me focaliser plus sur la carcasse et peut être moins sur le cardio. Ca ne sert à rien d’avoir une VMA à 18 si on coule une bielle en milieu de course, ou de réussir à passer des 400 en 1:26 si derrière les tendons ne suivent pas. Et là, j’ai du chemin à faire.
Les photos du milieu de course c’est mon pote Arnaud qui les a faites et les photos de la fin ce sont les photographes professionnels de Maindru.
Et si le post permet de passer un bon moment au petit dej, c’est aussi ça qui compte. En tirer quelque chose de positif.
Il faudra aussi féliciter la, le ou les photographes: On s’y croirait !
C’est aussi ce que j’ai vécu il y a 1 mois lors du marathon d’Amsterdam… C’est hyper vexant ! On s’en veut ! Mais comme tu le dis si bien : « Je préfère encore la douleur de l’échec d’un objectif ambitieux que ne rien faire. »
Oui on s’en veut parce que d’une certaine manière c’est un échec, une erreur … et puis comme c’est annoncé publiquement avant, qu’il faut faire face ensuite aux « bah c’est pas si mal » sympathiques mais c’est pas ce qu’on voulait. Et l’autre bon côté c’est que c’est comme ça qu’on apprend le plus (malheureusement)
bravo sympa de lire ce reportage rochelais , un CR très intéressant.
Merci : course pourrie, compte-rendu intéressant : il reste toujours quelque chose de positif 🙂
On ne dirait vraiment pas que tu fini à 10km/h sur le tapis bleu de l’arrivée.
Aucune relation pour toi entre tes écarts d’alimentation high carb de la veille et les douleurs le jour de l’épreuve ?
Effectivement sur les 100 derniers mètres j’ai réussi à ré accélérer et j’ai fini dans un sprint monstrueux à … 14. Quand il n’y a plus que 100 mètres à faire, je pense qu’on peut le faire avec une jambe arrachée, la tête coupée, etc. Il y a tellement d’adrénaline et le fait de savoir que c’est fini. Ca renvoie la question de la gestion de la douleur : j’ai pu la supporter à ce moment là et pas avant parce que je savais que ça allait s’arrêter. C’est la peur de ce qui peut se passer qui est paralysante, plus que la douleur.
Les écarts d’alimentation, je ne pense pas – peut-être que ça a pu contribuer à un état légèrement inflammatoire ? Mais le fait de faire la fin du marathon au ralenti m’a donné envie de tester une course avec zero alimentation pendant la course pour voir ce qui se passerait.
Des sorties longues le dimanche matin, complètement à jeun et sans rien d’autres que de l’eau, j’avais déjà commencé avant de découvrir le régime paléo. Pour moi c’est une base. Mon prochain objectif du genre est un marathon complet tranquille (genre 4h30). Je vais partir avec 2 ou 3 pâtes de fruit dans ma besace et je vais essayer de ne pas y toucher. Un peut maso sans doute mais ça transforme la sortie trop cool en mini challenge contre soi même.
Maintenant que tu ne peut plus courir, tu peut essayer de voir si tu peut faire des jeun de 2 ou 3 jours pour voir ce que ça donne. Pour l’instant je n’imagine même pas.
Oui j’y pense effectivement. Ce n’est pas une période idéale pour jeuner mais je vais essayer de passer les 24 heures. Et le marathon « tranquille » sans alimentation aussi. Il serait aussi intéressant de tester une alimentation à base de MCT (acide gras à chaine moyenne) pour voir ce que ça donne.
Au moral, tu l’as fait !! Même si le chrono n’est pas celui escompté tu n’as rien laché et tu as terminé !
Cela te servira d’expérience pour ton prochain marathon.
Effectivement …
Bravo pour ce CR et pour avoir été au bout de ce marathon. La perception et la gestion de la douleur sont des sujets intéressants pour mieux comprendre les coureurs, les humains et toute forme de vie. Difficile d’imaginer comment chacun la ressent et jusqu’où notre conscience peut la supporter ! Pouvons-nous entrainer également notre corps et notre esprit à être plus forts face à la douleur ?
Hé bien c’est ce qui m’a trotté dans la tête qui qui fait l’object du post que je viens de publier. Tu me diras ce que tu en penses.
Tu penses à quoi quand tu parles de MCT. Je vaux dire concrètement.
medium chain triglycerides : acides gras « moyens » ie polymère de taille moyenne, directement oxydable par les mitochondries (par ex huile de noix de coco)
http://www.upgradedself.com/products/bulletproof-upgraded-MCT-oil-32-Fl-Oz
Maaaaazette ! Elles sont fortes tes mitochondries ! Surtout, les MCT passent dans le sang « directement » au niveau digestif, contrairement à la majorité des lipides, puis filent direct au foie pour être rapidement métabolisés (bonne source de corps cétoniques).
Aaaah tu as raison, je suis allé trop vite. Effectivement le MCT n’est pas utilisé directement par les mitochondries mais favoriserait la production de cétones et l’augmentation du métabolisme ? Ce soir je revois mon diagramme sur le cycle de Krebs, promis.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_de_Krebs